Hi-Gé

Programmes, liens, prolongements de formations, propositions de didactisations, compte-rendus, fiches, synthèses, débats permettant de faire le lien entre histoire et géographie universitaires et enseignées. Blog de mutualisation d'un historien-géographe, enseignant-formateur de professeurs des écoles, destiné aux étudiants, aux enseignants stagiaires et titulaires en formation.

Deux citations en exergue rappelant l'importance de nos disciplines en société : "Homère est nouveau ce matin, et rien n'est peut-être aussi vieux que le journal d'aujourd'hui" (Charles PEGUY) ; "Si tu veux de la vérité, apprends la géographie : c'est elle qui dicte les commencements" (Erik ORSENNA, Mali, ô Mali, Paris, Stock, 2014).

vendredi 30 novembre 2018

Qui est "Marianne" ?

Dès la Révolution française, Marianne (contraction de "Marie" et "Anne", deux prénoms répandus en France au XVIIIe s., choisie par des auteurs de théâtre comme Molière et Marivaux pour baptiser leurs personnages féminins de forte personnalité), incarne la République, proclamée en septembre 1792.

Dès le mois suivant, un poète occitan, Guillaume Lavabre, compose La Garison de Marianno, autrement dit La Guérison de Marianne : Marianne désignant la France enfin guérie de ses maux et à laquelle s'offre ce nouvel avenir républicain.

Après des débats à la Convention nationale autour de l'image appelée à personnifier la Liberté, il est entendu qu'elle serait représentée sous les traits d'une femme de l'Antiquité, portant une pique surmontée du bonnet phrygien : le bonnet des esclaves affranchis qui retrouvaient leur liberté dans la Rome antique. Le peintre Antoine-Jean Gros respecte ce cahier des charges, et la représente ainsi pour la première fois en 1794. Statues et bustes sont mis en place dès 1795 : Marianne est un symbole du régime républicain. L'épouse du Directeur Jean-François Reubell, prénommée Anne-Marie, grande figure des salons du Directoire, aurait servi de premier modèle à cette Marianne républicaine.


Disparue à l'époque du Consulat et de l'Empire (Napoléon Bonaparte n'aime ni La Marseillaise ni Marianne née sous le Directoire qu'il exècre), elle réapparaît au moment de la Révolution de 1830, lorsque les "trois glorieuses" journées révolutionnaire du 27, 28 et 29 juillet 1830 font chuter le roi Charles X. Le peintre Delacroix offre alors une nouvelle représentation de Marianne, porteuse du drapeau tricolore, dans La liberté guidant le peuple. Allégorie de la liberté et Marianne sont visiblement confondues :


A nouveau mal vue sous la Monarchie de Juillet, Marianne réapparaît en 1848 au moment de la proclamation de la IIe République, puis en 1870 pour la IIIe. Marianne coiffe désormais elle-même le bonnet phrygien. La statuaire officielle s'empare d'elle, tout comme les éditeurs de cartes postales de la Première Guerre mondiale qui la mettent en scène pour incarner la France. 

Elle est à la fois un symbole officiel de la République (que certains vénèrent par patriotisme), et, comme La Marseillaise, subversive en ce qu'elle incite au militantisme, au combat pour plus de liberté. Disparue sous la France de Vichy, où le profil du maréchal Pétain la remplace sur les timbres poste, elle renaît au moment de la Libération et du GPRF (Gouvernement provisoire de la République française), très présente sur les affiches.

Après 1945, Marianne s'installe durablement dans l'iconographie républicaine, mais aussi dans la publicité et les médias. Des vedettes sont choisies à intervalles réguliers pour incarner ses traits. Son sein n'est plus dénudé comme à la fin du XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle (le sein nu symbolisait alors la dimension nourricière et le désir d'émancipation, et reprenait les codes esthétiques de l'Antiquité).

Le choix de Marianne ne dit rien en soi de l'évolution de la place des femmes en société et de la perception de leur rôle. Elle ne symbolise que la République. Pourtant, en 2011, Marianne coiffée du bonnet phrygien est choisie pour l'affiche invitant les femmes à se présenter à visage découvert dans les services publics.

 
En 2016 encore, l'image de la "femme" Marianne et le symbole sont associés (voire mélangés, confondus). En pleine polémique sur le burkini, le Premier ministre Manuel Valls, tenté de démontrer l'incompatibilité de cette revendication avec les valeurs de la République, rappelle que Marianne était sein nu sur les barricades.

jeudi 29 novembre 2018

La différenciation pédagogique : oui, mais comment ?


La différenciation pédagogique est une nécessité « contextuelle et institutionnelle » (MEN, 2017), car le rôle de l’enseignant est de faire travailler des élèves de niveaux différents et de les faire progresser à leur rythme. Elle s’oppose, en France, à la différenciation structurelle, qui conduit dans certains pays à réorienter les élèves en difficulté vers des structures prévues par le système éducatif national.
La différenciation pédagogique, en opposition à la différenciation structurelle verticale (redoublement) ou horizontale (différentes filières), procède d’un « étiquetage social faible » et peut se définir comme la « création, par l’enseignant, de dispositifs et d’activités qui répondent aux besoins des élèves. Exemples : ateliers, travaux de groupe, activités à option, dispositifs individualisés, projets personnalisés » (Allal, 2017, p.169)

Elle est au cœur du métier d’enseignant, et transversale lorsque les jeunes enseignants cherchent à bâtir les compétences du référentiel, notamment la P3 « Construire, mettre en œuvre et animer des situations d'enseignement et d'apprentissage prenant en compte la diversité des élèves », la CC3 « Connaître les élèves et les processus d'apprentissage » et la CC4 « Prendre en compte la diversité des élèves ». 

Néanmoins, les enseignants français semblent significativement moins sensibilisés, voire moins formés à cette question que dans les autres pays développés : seuls 15 % des professeurs des écoles de CM1 ont bénéficié de plusieurs formations (plus d’une) sur le sujet, contre 42 % en moyenne dans les autres pays de l’enquête (enquête TIMSS 2015).
Pour y parvenir, l’enseignant peut jouer sur 4 variables :
-  "Les contenus : sans diminuer les exigences à long terme, l’enseignant propose des tâches et/ou des étayages et/ou des supports différents pour l’acquisition d’une même compétence" ;
-  "Les structures : les modalités d’organisation des groupes d’élèves et de la tâche. Varier les structures englobe également les modifications d’organisation de la classe (espace, temps, ressources matérielles" ;
- "Les productions : varier les productions, écrites, orales, graphiques, multimédia… offre différentes options aux élèves pour exprimer leurs progrès" ;
-  "Les processus : varier tout autant les démarches des élèves pour une même compétence, que les démarches didactiques des enseignants" (MEN, 2017).

La différenciation pédagogique informelle, que les enseignants commencent par mettre en place le plus souvent intuitivement, repose sur un encadrement plus important apporté aux élèves en difficulté, et la modification d’un ou de plusieurs paramètres d’une activité proposée à la classe : temps imparti, difficulté ou longueur d’une tâche, proposée aux élèves de manière adaptée en ce qu’elle est, pour eux, ni trop facile ni trop difficile, mais dans la « zone proximale de développement » chère à Lev Vygotski (Blais, Gauchet & Ottavi, 2016). 

Même si ces méthodes sont louables, elles ne conduisent pas à de la réelle différenciation pédagogique, qui mérite d’être davantage institutionnalisée (prévue dans la conception des séquences, précisée dans les écrits professionnels) et qui doit s’adresser à tous les élèves (pas seulement les élèves en difficulté). Cela nécessite souvent une refonte complète de la pratique des enseignants, qui se sentent démunis lorsqu’ils prennent la mesure du travail à accomplir. Beaucoup de documents institutionnels ou formatifs donnent des pistes de différenciation, mais il est parfois difficile de faire le tri entre ce qui relève de recommandations didactiques valables même quand on ne cherche pas à différencier (varier les supports, les méthodes de travail ; formuler des objectifs précis, explicites, de court terme et fonctionnels ; effectuer des tests fréquents et apporter aux élèves des feedbacks rapprochés ; expliciter en début de séance quels sont les objectifs déjà atteints et lesquels seront poursuivis désormais). 

De nombreux articles théoriques expliquent quels sont les différents types de différenciation possible d’un point de vue institutionnel (CNESCO, IFE et ENS-Lyon, 2017). Deux grandes visions de la différenciation coexistent, sans s’opposer (car elles peuvent être combinées dans la pratique) : la différenciation successive, qui conduit à alterner différentes modalités de travail pour permettre à tous, au bout du compte, d’atteindre le même objectif ; et la différenciation simultanée, plus difficile à mettre en place, et qui permet aux élèves de travailler en même temps à des tâches diverses mais adaptées à leurs besoins (Robbes, 2009).

Voici, concrètement, 9 solutions à mettre en place dans sa classe : télécharger ici la suite du document complet.

mercredi 28 novembre 2018

Existe-t-il un effet maître ?

Thème souvent abordé dans la littérature théorique des années 1990 et 2000, l'effet-maître désigne l'impact, sur les acquis des élèves, d'être scolarisé avec tel enseignant plutôt qu'un autre. Selon les disciplines enseignées à l'école primaire, il expliquerait de 10 à 20 % (10% pour le français, 20 % pour les sciences, dont les savoirs sont le plus souvent exclusivement construits à l'école) de variances de résultats qu'on ne peut expliquer autrement.
Néanmoins, aucun outil de recherche incontestable n'a permis de mesurer avec objectivité cet effet-maître, que tous les enseignants souhaitent positifs, et le thème est moins abordé dans la littérature théorique des années 2010, préférant s'intéresser directement aux pratiques enseignantes, à l'enseignement explicite.
Pourtant, à l'école primaire où l'équation une classe = un maître est de mise, l'effet-maître et l'effet-classe sont sans doute davantage liés que dans le secondaire.
Les travaux de Pascal Bressoux, professeur des universités en sciences de l'éducation à Grenoble, qui fait autorité sur cette question, sont résumés dans ce document.

Extrait :

Il est dans un premier temps difficile de distinguer ce qui relève de l’« effet-classe » ou de l’« effet-maître », c’est-à-dire ce qui, dans les réussites ou les difficultés des élèves, s’explique par des données sociologiques (la classe) et par la personnalité et/ou l’activité de l’enseignant (le maître). A l’école élémentaire, la classe et les pratiques et comportements spécifiques de l’enseignant ont un impact sur le travail des élèves : « entre 10 et 18% de la variance des acquis des élèves » (Bressoux, 2011, p.222) ; autour de 10% en ce qui concerne les apprentissages en lecture et écriture, et au-delà de 15% pour les mathématiques et les sciences, disciplines pour lesquelles la construction des savoirs dépend le plus souvent exclusivement de l’école. L’« effet-maître » ne peut être saisi qu’indirectement en éliminant les paramètres relevant de l’« effet-classe ». Les deux, liés, voire qui « se confondent » (Bressoux, 2001, p.38) semblent être plus forts que l’appartenance à une catégorie sociale, et sont « plus élevés pour les élèves faibles que pour les élèves forts » (Bressoux, 2011, p.223). Un maître est considéré comme bon lorsqu’il est efficace et équitable. « L’efficacité peut être définie comme la capacité à élever le niveau moyen d’une classe » (Bressoux, 2001, p.39) et l’équité comme « la capacité à réduire les écarts initiaux des élèves (entre forts et faibles, entre garçons et filles, entre origines sociales favorisée et défavorisée, etc.) » (Bressoux, 2001, p.40). Or, pour l’auteur, « cette efficacité n’est jamais que le produit d’une interaction entre un enseignant et des élèves » (Bressoux, 2001, p.41). L’« effet-maître » ne réside donc pas dans les qualités propres de l’enseignant, mais dans le type de relation qu’il a su instaurer avec ses élèves.

mardi 27 novembre 2018

Lire à l'école : une histoire

En 1997, Paul Saenger publie Space Between Words. The Origins of Silent Reading aux presses de la prestigieuse Université de Stanford. L'auteur fait le lien entre des travaux de psychologie cognitive et les évolutions qu'il remarque dans les textes médiévaux qu'il étudie : des pages de plus en plus aérées, des mots plus clairement séparés et l'apparition de signes de ponctuation. En quoi les pratiques de lectures ont-elles évolué ? 


Le magazine L'Histoire, n°454, dans sa livraison de décembre 2018, interroge le spécialiste à ce sujet. S'intéressant davantage à l'acte de lire qu'à la liste des livres lu ou prétendûment lus par les hommes du passé, Paul Saenger va s'intéresser à l'évolution des pratiques de lecture. Dans les civilisations de l'Antiquité, la lecture s'effectue à voix haute. Les élèves, à l'école, tentent de déchiffrer un texte difficile et présenté de manière compacte. C'est un exercice collectif.

Dans sa matérialité, le texte passe peu à peu de la forme du volumen (un rouleau) à un codex (un livre avec des pages, qu'on peut tourner, avec un retour en arrière possible). Ce changement permet de commencer à individualiser les pratiques de lecture.

C'est au début de notre ère que les premiers changements visant à structurer davantage le texte, en vue d'une lecture individuelle et non collective, apparaissent : phrases clairement coupées, espacement du texte, numérotation, chapitrage du texte biblique au IVe siècle. Au début du Moyen Age, pour mieux se repérer dans le texte continu des auteurs latins comme Tacite ou Tite-Live, dont les livres ne sont pas séparés, on met en rouge les premiers mots d'un paragraphe pour lui donner un sous-titre, et ainsi créer une rubrique (ruber en latin signifie "rouge"). 

Pendant toute la durée du Moyen Age, des signes de ponctuation guidant la lecture sont introduits, sans toutefois être codifiés et généralisés avant l'invention et le développement de l'imprimerie :
- pour une pause moyenne : le point (non pas au bas mais au milieu d'une ligne entre deux mots)
- pour une pause forte : le point-virgule
- pour une pause faible : le point "élevé" (point + apostrophe au-dessus)
- le point d'interrogation (rare mais présent).

Leur finalité est claire : "la ponctuation se veut un semble d'instructions de lecture. Elle doit aider à bien comprendre un texte", dit Saegen, qui s'appuie sur la définition de la ponctuation que donne au XIIe siècle le théologien Hugues de Saint-Victor (L'Histoire, n°454, décembre 2018, p.58).

L'introduction de ces signes, depuis saint Augustin, a une fonction essentielle : éviter les erreurs de lecture, et donc d'interprétation de la Bible. Aujourd'hui encore, la valeur d'un texte se fonde sur sa clarté et la compréhension possible de chacun, et non plus sur son élégance et le respect des règles métriques comme à l'époque de l'Antiquité, où l'objectif était de le déclamer, le réciter. La lecture individuelle et silencieuse est née.


Rogier van der Weyden, Marie-Madeleine lisant, vers 1435-1438.
(National Gallery, Londres)

dimanche 25 novembre 2018

La pédagogie coopérative

Dans un billet précédent, nous avions déjà cherché à distinguer "collaboration" et "coopération", et à faire la différence entre ateliers et travaux de groupe.

Pour mémoire : collaborer implique la mise en relation de deux ou de plusieurs élèves qui échangent, planifient librement leur travail collectif, le réalisent au même endroit et de manière synchrone, de façon à ce que les élèves contribuent aux apprentissages du groupe et qu’en retour le groupe favorise les apprentissages de tous. Mais il n’y a aucune répartition/parcellisation du travail. 

La coopération implique l’entrée dans une situation d’apprentissage imposée par l’enseignant. Le travail est réparti entre équipes qui évoluent parallèlement ; et chaque travail contribue à une partie de l’œuvre collective. L’entrée dans l’activité et l’exploration des contenus sont guidées par le maître. Les travaux individuels ou en petits groupes d’élèves seront assemblés pour obtenir le travail final.

On parle aujourd'hui de réelle pédagogie coopérative, dont l'une des spécialistes est Céline Buchs, maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Genève. Elle explique sous la forme du schéma heuristique suivant en quoi les travaux de groupe permettent de préparer les élèves à coopérer : selon la chercheuse, les interactions entre pairs sont au service des apprentissages. Les déstabilisations (conflits socio-cognitifs) permettent aux élèves d'apprendre tout en apprenant à travailler ensemble, l'objectif étant, pour l'enseignant, de susciter des "interactions simultanées constructives". 


Ce schéma est tiré de la note des experts remise au CNESCO en 2017, et a été adapté d'un article de Céline Buchs dont la référence est la suivante : Buchs, C. (2016). La pédagogie coopérative pour articuler les domaines disciplinaires et les capacités transversales. Educateur, 2. 16-18.