Hi-Gé

Programmes, liens, prolongements de formations, propositions de didactisations, compte-rendus, fiches, synthèses, débats permettant de faire le lien entre histoire et géographie universitaires et enseignées. Blog de mutualisation d'un historien-géographe, enseignant-formateur de professeurs des écoles, destiné aux étudiants, aux enseignants stagiaires et titulaires en formation.

Deux citations en exergue rappelant l'importance de nos disciplines en société : "Homère est nouveau ce matin, et rien n'est peut-être aussi vieux que le journal d'aujourd'hui" (Charles PEGUY) ; "Si tu veux de la vérité, apprends la géographie : c'est elle qui dicte les commencements" (Erik ORSENNA, Mali, ô Mali, Paris, Stock, 2014).

mercredi 27 juin 2018

Quelles précautions prendre lorsqu'on utilise un témoignage avec les élèves en classe d'histoire ?

Un témoignage est une déclaration orale ou écrite à partir de ce qu'un témoin d'une époque a vu, entendu, ressenti, vécu. Le dernier "poilu" français, Lazare Ponticelli, étant mort à l'âge de 110 ans en 2008, il n'y a plus de survivants de la Première Guerre mondiale, et les soldats et victimes de la Seconde Guerre mondiale sont également de moins en moins nombreux. Agés de plus de 90 ans, à la santé fragile, à la mémoire parfois sélective sinon défaillante, il est de plus en plus difficile de les faire intervenir devant les classes.

C'est donc par l'écrit que leurs témoignages peuvent parvenir à nos élèves. Certains témoignages bruts sont disponibles : un récit en auto-édition, comme celui de Victor Henrion, raconte son parcours de Malgré-Nous. Certains résistants-déportés s'aident d'historiens pour mettre leur témoignage en récit : c'est le cas de René Baumann, dont le témoignage a été recueilli et mis en récit par l'historienne Audrey Guilloteau en 2016.

Quand un enseignant utilise un témoignage en classe (et cela est fortement recommandé dans la mise en oeuvre du dernier thème d'histoire de CM2 dans les fiches EDUSCOL, qui insistent sur les témoignages d'enfants dans les guerres mondiales), l'enseignant doit se poser et savoir répondre aux questions suivantes :
- quand et comment le témoignage a été recueilli ? Sous quelle forme ? Si un laps de temps long s'est écoulé entre les événements et le moment où le témoignage est recueilli, la "mise en mémoire" peut jouer des tours et poser un obstacle à l'établissement des faits ;
- qui est le témoin ? Que sait-on de lui par ailleurs ?
- s'il a été acteur des événements décrits, ne cherche-t-il pas à justifier son action a posteriori, et s'il a été témoin, à faire correspondre son récit à ce qu'il sait par ailleurs de la "grande" histoire ?
- quel point de vue ce témoignage exprime-t-il, s'il peut être représentatif d'une population en un temps donné/une partie de la population ?

Aux élèves, il faudra forcément poser les questions suivantes :
- identifier l'auteur, la date des événements décrits et la date du témoignage recueilli
- resituer les événements décrits dans une époque (= contextualiser le document)
- que raconte l'auteur, qui a été témoin ou acteur des événements décrits
- quel point de vue particulier est exprimé dans ce témoignage (pour faire comprendre que d'autres points de vue pourraient également exister)
- en quoi ce témoignage permet-il de comprendre une époque ou un événement ?

lundi 25 juin 2018

Une carte mentale est-elle une trace écrite pour des élèves de cycle 3 ?

Une carte mentale (ou schéma heuristique) se compose de mots ou de groupements de mots reliés par des flèches, pour signaler des liens de cause(s) à effet(s), les différentes dimensions d'un sujet (dont le libellé est souvent placé au centre de ladite carte mentale).
Mais une carte mentale peut-elle faire office de trace écrite, qui remplacerait le sacro-saint paragraphe rédigé avec les élèves (le plus souvent sur le terrain, un texte à trous distribué, par souci de gain de temps, et pour éviter que les compétences visées soient perdues de vue par des élèves qui mettraient toute leur énergie au service du recopiage d'un texte) ?

La réponse est loin d'être évidente.
Une carte mentale EST une forme de trace écrite. Mais pas exclusive. Elle ne peut se substituer à elle toute seule à toutes les autres formes plus habituelles de traces écrites, et ce pour plusieurs raisons :
- exposer les enfants à une carte mentale, dont ils n'ont contribué qu'à une partie de son élaboration (à l'issue d'une phase de recherche par exemple, et pour restituer une partie des résultats) est insuffisant.
- les élèves qui n'ont pas su se l'approprier auront plus de mal à la réviser qu'un texte plus conventionnel.

Il faut donc qu'un carte mentale :
- soit personnelle : réalisée en entier par les élèves, pour se l'approprier : par exemple, laisser les élèves composer leur propre carte mentale pour transformer une trace écrite plus traditionnelle, mais préexistante ; ou à l'issue d'une phase de recherche, laisser les élèves transformer leurs résultats en carte mentale, puis comparer les différentes cartes mentales en oral collectif pour les confronter.
- soit réalisée en complément d'une autre forme de trace écrite.

En revanche, une carte conceptuelle peut servir de trace écrite, une fois l'institutionnalisation des connaissances accomplie. Voir ici la différence entre carte mentale et carte conceptuelle.

Question d'oral histoire : en quoi consiste le métier d'historien, et comment mettre les élèves en position d'apprentis historiens ?

L'historien tient un discours sur le passé qui s'appuie sur des sources.
Ce passé est clos, comme le dit l'historien médiéviste Marc Bloch dans son Apologie pour l'histoire ou métier d'historien (écrite entre 1940 et 1943, et publiée de manière posthume par son ami, l'historien moderniste Lucien Febvre en 1949), mais la connaissance de ce passé et les voies d'accès à cette connaissance sont une science humaine : l'histoire. Cette connaissance n'est pas établie de manière définitive : personne n'arrive jamais à saisir de façon définitive la "vérité historique".

Pour cette raison, l'histoire est une enquête (c'est le sens d'historiè en grec ancien), une recherche de la vérité historique (qu'on n'atteint jamais entièrement, mais qu'on vise quand même). L'historien étudie des sources (par critique externe, sur la matérialité de la source, et critique interne : leur contenu ou leurs omissions). Il fréquente pour cela les fonds d'archives (les archives nationales, départementales, municipales) où sont conservées les sources manuscrites, et les bibliothèques (la Bibliothèque nationale de France, les bibliothèques universitaires) où sont conservés des imprimés parfois anciens.
Les informations qu'il tire de ces sources sont articulées et soumises à interprétation, avec le plus d'honnêteté intellectuelle possible. Néanmoins, puisqu'il s'agi d'une interprétation, un livre d'historien en dit toujours plus long sur son contexte d'écriture et sur son auteur que sur la période qu'il prétend étudier.

Les schémas de pensée qui guident le travail des historiens changent au gré des contacts avec les autres sciences. 
Par exemple, pendant longtemps, on avait cherché "les causes" de la Révolution française (interprétation marxiste de la montée de la bourgeoisie qui dispute à la noblesse son pouvoir politique), alors que cela revenait à relire a posteriori des événements de la période qui précède 1789, au lieu de s'intéresser au "présent" de 1789 et les logiques des différents acteurs de 1789. C'est ce qu'a essayé de faire l'historien américain Timothy Tackett dans Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, Albin Michel, 1997. Mais depuis, d'autres nombreux livres sur la Révolution ont été publiés.

Les enfants sont donc initiés au métier d'historien lorsqu'ils :
- enquêtent à partir d'un dossier documentaire ; extraient des informations de documents et les comparent/les confrontent ;
- proposent des interprétations à partir de ces informations pour construire un discours sur le passé.