Hi-Gé

Programmes, liens, prolongements de formations, propositions de didactisations, compte-rendus, fiches, synthèses, débats permettant de faire le lien entre histoire et géographie universitaires et enseignées. Blog de mutualisation d'un historien-géographe, enseignant-formateur de professeurs des écoles, destiné aux étudiants, aux enseignants stagiaires et titulaires en formation.

Deux citations en exergue rappelant l'importance de nos disciplines en société : "Homère est nouveau ce matin, et rien n'est peut-être aussi vieux que le journal d'aujourd'hui" (Charles PEGUY) ; "Si tu veux de la vérité, apprends la géographie : c'est elle qui dicte les commencements" (Erik ORSENNA, Mali, ô Mali, Paris, Stock, 2014).

mardi 27 novembre 2018

Lire à l'école : une histoire

En 1997, Paul Saenger publie Space Between Words. The Origins of Silent Reading aux presses de la prestigieuse Université de Stanford. L'auteur fait le lien entre des travaux de psychologie cognitive et les évolutions qu'il remarque dans les textes médiévaux qu'il étudie : des pages de plus en plus aérées, des mots plus clairement séparés et l'apparition de signes de ponctuation. En quoi les pratiques de lectures ont-elles évolué ? 


Le magazine L'Histoire, n°454, dans sa livraison de décembre 2018, interroge le spécialiste à ce sujet. S'intéressant davantage à l'acte de lire qu'à la liste des livres lu ou prétendûment lus par les hommes du passé, Paul Saenger va s'intéresser à l'évolution des pratiques de lecture. Dans les civilisations de l'Antiquité, la lecture s'effectue à voix haute. Les élèves, à l'école, tentent de déchiffrer un texte difficile et présenté de manière compacte. C'est un exercice collectif.

Dans sa matérialité, le texte passe peu à peu de la forme du volumen (un rouleau) à un codex (un livre avec des pages, qu'on peut tourner, avec un retour en arrière possible). Ce changement permet de commencer à individualiser les pratiques de lecture.

C'est au début de notre ère que les premiers changements visant à structurer davantage le texte, en vue d'une lecture individuelle et non collective, apparaissent : phrases clairement coupées, espacement du texte, numérotation, chapitrage du texte biblique au IVe siècle. Au début du Moyen Age, pour mieux se repérer dans le texte continu des auteurs latins comme Tacite ou Tite-Live, dont les livres ne sont pas séparés, on met en rouge les premiers mots d'un paragraphe pour lui donner un sous-titre, et ainsi créer une rubrique (ruber en latin signifie "rouge"). 

Pendant toute la durée du Moyen Age, des signes de ponctuation guidant la lecture sont introduits, sans toutefois être codifiés et généralisés avant l'invention et le développement de l'imprimerie :
- pour une pause moyenne : le point (non pas au bas mais au milieu d'une ligne entre deux mots)
- pour une pause forte : le point-virgule
- pour une pause faible : le point "élevé" (point + apostrophe au-dessus)
- le point d'interrogation (rare mais présent).

Leur finalité est claire : "la ponctuation se veut un semble d'instructions de lecture. Elle doit aider à bien comprendre un texte", dit Saegen, qui s'appuie sur la définition de la ponctuation que donne au XIIe siècle le théologien Hugues de Saint-Victor (L'Histoire, n°454, décembre 2018, p.58).

L'introduction de ces signes, depuis saint Augustin, a une fonction essentielle : éviter les erreurs de lecture, et donc d'interprétation de la Bible. Aujourd'hui encore, la valeur d'un texte se fonde sur sa clarté et la compréhension possible de chacun, et non plus sur son élégance et le respect des règles métriques comme à l'époque de l'Antiquité, où l'objectif était de le déclamer, le réciter. La lecture individuelle et silencieuse est née.


Rogier van der Weyden, Marie-Madeleine lisant, vers 1435-1438.
(National Gallery, Londres)

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