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Programmes, liens, prolongements de formations, propositions de didactisations, compte-rendus, fiches, synthèses, débats permettant de faire le lien entre histoire et géographie universitaires et enseignées. Blog de mutualisation d'un historien-géographe, enseignant-formateur de professeurs des écoles, destiné aux étudiants, aux enseignants stagiaires et titulaires en formation.

Deux citations en exergue rappelant l'importance de nos disciplines en société : "Homère est nouveau ce matin, et rien n'est peut-être aussi vieux que le journal d'aujourd'hui" (Charles PEGUY) ; "Si tu veux de la vérité, apprends la géographie : c'est elle qui dicte les commencements" (Erik ORSENNA, Mali, ô Mali, Paris, Stock, 2014).

samedi 26 mai 2018

Education, instruction ou enseignement civique ?


Depuis 2015, de l’école maternelle au lycée, l’EMC impose aux professeurs de suivre un programme d’ « enseignement moral et civique ». Continuer de parler d’ « éducation civique » ou d’ « instruction civique » n’est pas qu’un abus de langage : cela convoque des concepts vieillis et trahit un attachement réel ou inconscient à un prêchi-prêcha républicain ou à un corpus de connaissances, de valeurs et de principes ânonnés mais plus vraiment compris, et qui se révélaient de plus en plus inopérants sur le terrain.

L’âge d’or de l’instruction civique (années 1880 – années 1930) : finalités, mises en œuvre, résultats

Lorsque l’école est rendue gratuite, laïque et obligatoire par Jules Ferry en 1881-1882, la République (la IIIe) est encore jeune et fragile : on ne sait avec certitude que depuis 1875 que le nouveau régime né de la défaite de la France face à la Prusse en 1870 est une République. A cette époque, considérée aujourd’hui comme l’âge d’or de l’école républicaine, avec des instituteurs considérés comme les « hussards noirs de la République « , une des missions de l’école était d’enraciner la République dans le cœur des petits Français. Ce défi a été relevé, puisque cette IIIe République a su résister à de graves crises comme l’Affaire Dreyfus (1894-1906) et la Première Guerre mondiale (1914-1918).

Une heure d’ « instruction morale et civique » à l’école primaire (pour les enfants de 6 à 13 ans) est prévue chaque semaine par les programmes de 1882 (confirmé dans les programmes de 1887) : elle doit remplacer l’instruction religieuse, rejetée en dehors des murs de l’école. Jules Ferry la conçoit comme un enseignement protégé de toutes les luttes politiques, mais qui met en avant les principes de 1789 et leur réalisation dans l’installation durable de la République. Le but de cet enseignement, à une époque où on peut encore voter pour des candidats monarchistes et bonapartistes, est, en une génération, d’instaurer l’idée selon laquelle la République serait le dernier régime, « définitif » cette fois, de la France, car c’est celui qui fait vivre le plus parfaitement la liberté, l’égalité et la fraternité proclamées en 1789. Ces principes issus de la Révolution française et les valeurs républicaines doivent souder la nation, et l’instruction civique à l’école doit les transmettre aux élèves, dans les villes et les communes rurales. L’instruction civique, l’histoire et la géographie sont des enseignements « patriotiques » : ils visent à montrer aux élèves que la France est « belle » par sa géographie, et « grande » par son histoire et les valeurs qu’elle incarne.

Le contenu de l’instruction civique est le suivant : apprentissage des règles de vie en société, apprentissage de La Marseillaise et la connaissance des valeurs et symboles de la République, connaissance des institutions, des administrations, de l’organisation territoriale de la France, des droits et des devoirs de chacun, du fonctionnement de la vie politique. En 1923, cet objectif reste inchangé. Les finalités de cet enseignement sont rappelées : « La nécessité de l’instruction morale et civique est évidente dans une démocratie où, par le suffrage universel, la conduite des affaires publiques et le sort de la nation dépendent des sentiments, de la conscience et des lumières de tous. (…) Cet enseignement a un double-objet : apprendre aux enfants à connaître leur pays, le leur faire aimer, tout en leur donnant un bon jugement politique.

Après la parenthèse de Vichy, où l’instruction civique et morale était suspendue pour privilégier la nouvelle devise « Travail, famille, patrie », le culte de la personnalité du maréchal Pétain, et les devoirs envers Dieu et la religion (qui sont rétablis dans les programmes le 7 décembre 1940), l’attachement à la terre et à sa « petite patrie », la République rétablit l’instruction civique et morale en 1945, dans le but d’effacer les années de collaboration, et de « re »faire des Français des démocrates.

L’instruction civique victime des Trente Glorieuses : a-t-on besoin d’une instruction civique quand la société va bien ?

Présente dans les programmes jusqu’en 1956, l’instruction civique est délaissée dans les années 1960 pour deux raisons : la Ve République, qui nait en 1958, semble solide et acceptée par tous, et l’amélioration des conditions de vie grâce aux Trente Glorieuses déplace l’intérêt des Français du politique vers l’économie. L’augmentation du niveau de vie des Français et les réticences des enseignants à transmettre des valeurs patriotiques – ignorant les drames de la décolonisation, le débat autour de Vichy et la contestation de la Ve République elle-même au moment de mai 1968 – expliquent la désaffection pour l’éducation civique.

L’éducation civique est, dans les années 70, considérée avec l’histoire et la géographie comme une « discipline d’éveil », dont le but n’est plus d’aimer la patrie (comme dans les années 1880), mais d’apprendre à vivre en société (dans une société tolérante et pluraliste). Dans la mesure où la République est solidement ancrée, personne ne s’oppose à ce que l’éducation civique en tant que telle, avec ses spécificités, soit « mélangée » à d’autres disciplines d’éveil.

L’éducation civique, qui coïncide de plus en plus avec une éducation à la citoyenneté (années 80 – 2002)

La gauche, au pouvoir en 1981, commande un rapport qui pointe en 1982 l’inexistence d’une formation civique à l’école, alors que le chômage, les tensions sociales, les inégalités socio-spatiales et le racisme risque de nuire au pacte républicain et à la promesse d’une école méritocratique. Jean-Pierre Chevènement rétablit l’éducation civique à l’école en 1985. Selon le ministre, il faut réussir à inculquer aux élèves le souci du bien public, de l’intérêt général, et leur faire connaître les lois de la communauté qu’ils s’apprêtent à rejoindre. Dans les programmes, pour convaincre des enseignants réticents à enseigner un discours officiel, il est fait mention qu’on ne naît pas citoyen éclairé, mais qu’on le devient.

Niveaux concernés
Programmes
CP
Les symboles de la République (dont La Marseillaise, jugée cocardière, sanguinaire et dépassée par beaucoup d’enseignants)
CE
La patrie : unité et identité nationales et la devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité »
CM
Le citoyen et la République

On est cependant passés en 1985 d’une « instruction civique » à une « éducation civique ». A lors que la première suggérait la transmission de connaissances dans le cadre d’une école où la leçon magistrale serait la norme, la seconde évoque plutôt une action éducative dont l’école assure une part, sans exclusivité toutefois.

Dans les années 1980 et 1990, l’éducation civique a donc pour rôle la connaissance des institutions, de leur fonctionnement et la vie citoyenne. Officiellement, dans les programmes de 1995-1996, cette « éducation à la citoyenneté » apparaît noir sur blanc. Les programmes de 2002 confirment cette évolution des finalités de l’éducation civique, qui n’a plus vocation à former de « bons » citoyens, mais des citoyens responsables et respectueux des valeurs de la France qui assurent le « vivre-ensemble ». Les programmes réservent au débat une place importante, dès la fin du cycle 2 et surtout au cycle 3.

Un bref retour à l’ « instruction civique » (2008-2013), avant le choix de l'EMC

En 2008, les nouveaux programmes, inspirés par Jean-Michel Blanquer, actuel ministre de l’Education nationale, redéfinissent l’éducation civique, qui devient IMC : « Instruction morale et civique ». La place de l’enseignant, qui instaure le cadrage de règles et fait respecter les valeurs de la République, est réaffirmée. Partant du principe que les élèves de l’école primaire sont trop jeunes pour débattre et philosopher, on revient à de l’ « instruction » morale et civique, dont le but est de donner aux élèves les connaissances institutionnelles et le bien-fondé du respect de valeurs et de principes sur lesquels ils n’est pas question de transiger. En 2005, suite à une polémique née du sifflement de l’hymne national au début de plusieurs matchs de football, on demande aux enseignants d’apprendre La Marseillaise à leurs élèves dès la rentrée 2006. En 2008, le débat sur l’ « identité nationale » au début du mandat de Nicolas Sarkozy a échauffé les esprits. Certains enseignants ont vu derrière le retour de l’ « instruction » civique le retour à un patriotisme déguisé. Pourtant, l’ « identité nationale » n’apparaît pas directement dans les programmes de 2008. L’école est vue comme l’antichambre de la vie collective. L’exercice de son jugement moral viendra dans un second temps. La circulaire de 2011 confirme cette évolution.

En 2013, la loi de la refondation de l’Ecole, suivie par de nouveaux programmes en 2015, tranche en faveur d’un « enseignement moral et civique ». C’est sous cette dernière appellation que nous travaillons actuellement, nous libérant du débat instruction vs. éducation.

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