Depuis 2015, de l’école
maternelle au lycée, l’EMC impose aux professeurs de suivre un programme
d’ « enseignement moral et civique ». Continuer de parler
d’ « éducation civique » ou d’ « instruction civique »
n’est pas qu’un abus de langage : cela convoque des concepts vieillis et
trahit un attachement réel ou inconscient à un prêchi-prêcha républicain ou à
un corpus de connaissances, de valeurs et de principes ânonnés mais plus
vraiment compris, et qui se révélaient de plus en plus inopérants sur le
terrain.
L’âge d’or de l’instruction civique (années 1880 – années 1930) :
finalités, mises en œuvre, résultats
Lorsque l’école est rendue
gratuite, laïque et obligatoire par Jules Ferry en 1881-1882, la République (la
IIIe) est encore jeune et fragile : on ne sait avec certitude que depuis
1875 que le nouveau régime né de la défaite de la France face à la Prusse en
1870 est une République. A cette époque, considérée aujourd’hui comme l’âge
d’or de l’école républicaine, avec des instituteurs considérés comme les
« hussards noirs de la République « , une des missions de
l’école était d’enraciner la République dans le cœur des petits Français. Ce
défi a été relevé, puisque cette IIIe République a su résister à de
graves crises comme l’Affaire Dreyfus (1894-1906) et la Première Guerre
mondiale (1914-1918).
Une heure d’ « instruction
morale et civique » à l’école primaire (pour les enfants de 6 à 13 ans) est
prévue chaque semaine par les programmes de 1882 (confirmé dans les programmes
de 1887) : elle doit remplacer l’instruction religieuse, rejetée en dehors
des murs de l’école. Jules Ferry la conçoit comme un enseignement protégé de
toutes les luttes politiques, mais qui met en avant les principes de 1789 et
leur réalisation dans l’installation durable de la République. Le but de cet
enseignement, à une époque où on peut encore voter pour des candidats
monarchistes et bonapartistes, est, en une génération, d’instaurer l’idée selon
laquelle la République serait le dernier régime, « définitif » cette
fois, de la France, car c’est celui qui fait vivre le plus parfaitement la
liberté, l’égalité et la fraternité proclamées en 1789. Ces principes issus de
la Révolution française et les valeurs républicaines doivent souder la nation,
et l’instruction civique à l’école doit les transmettre aux élèves, dans les
villes et les communes rurales. L’instruction civique, l’histoire et la
géographie sont des enseignements « patriotiques » : ils visent
à montrer aux élèves que la France est « belle » par sa géographie,
et « grande » par son histoire et les valeurs qu’elle incarne.
Le contenu de l’instruction
civique est le suivant : apprentissage des règles de vie en société,
apprentissage de La Marseillaise et
la connaissance des valeurs et symboles de la République, connaissance des
institutions, des administrations, de l’organisation territoriale de la France,
des droits et des devoirs de chacun, du fonctionnement de la vie politique. En
1923, cet objectif reste inchangé. Les finalités de cet enseignement sont
rappelées : « La nécessité de l’instruction morale et civique est
évidente dans une démocratie où, par le suffrage universel, la conduite des
affaires publiques et le sort de la nation dépendent des sentiments, de la
conscience et des lumières de tous. (…) Cet enseignement a un
double-objet : apprendre aux enfants à connaître leur pays, le leur faire
aimer, tout en leur donnant un bon jugement politique.
Après la parenthèse de Vichy, où
l’instruction civique et morale était suspendue pour privilégier la nouvelle
devise « Travail, famille, patrie », le culte de la personnalité du
maréchal Pétain, et les devoirs envers Dieu et la religion (qui sont rétablis
dans les programmes le 7 décembre 1940), l’attachement à la terre et à sa
« petite patrie », la République rétablit l’instruction civique et
morale en 1945, dans le but d’effacer les années de collaboration, et de
« re »faire des Français des démocrates.
L’instruction civique victime des Trente Glorieuses : a-t-on
besoin d’une instruction civique quand la société va bien ?
Présente dans les programmes
jusqu’en 1956, l’instruction civique est délaissée dans les années 1960 pour
deux raisons : la Ve République, qui nait en 1958, semble solide et acceptée
par tous, et l’amélioration des conditions de vie grâce aux Trente Glorieuses
déplace l’intérêt des Français du politique vers l’économie. L’augmentation du
niveau de vie des Français et les réticences des enseignants à transmettre des
valeurs patriotiques – ignorant les drames de la décolonisation, le débat
autour de Vichy et la contestation de la Ve République elle-même au moment de
mai 1968 – expliquent la désaffection pour l’éducation civique.
L’éducation civique est, dans les
années 70, considérée avec l’histoire et la géographie comme une « discipline
d’éveil », dont le but n’est plus d’aimer la patrie (comme dans les années
1880), mais d’apprendre à vivre en société (dans une société tolérante et pluraliste).
Dans la mesure où la République est solidement ancrée, personne ne s’oppose à
ce que l’éducation civique en tant que telle, avec ses spécificités, soit « mélangée »
à d’autres disciplines d’éveil.
L’éducation civique, qui coïncide de plus en plus avec une éducation à la
citoyenneté (années 80 – 2002)
La gauche, au pouvoir en 1981, commande
un rapport qui pointe en 1982 l’inexistence d’une formation civique à l’école,
alors que le chômage, les tensions sociales, les inégalités socio-spatiales et
le racisme risque de nuire au pacte républicain et à la promesse d’une école
méritocratique. Jean-Pierre Chevènement rétablit l’éducation civique à l’école
en 1985. Selon le ministre, il faut réussir à inculquer aux élèves le souci du
bien public, de l’intérêt général, et leur faire connaître les lois de la communauté
qu’ils s’apprêtent à rejoindre. Dans les programmes, pour convaincre des
enseignants réticents à enseigner un discours officiel, il est fait mention qu’on
ne naît pas citoyen éclairé, mais qu’on le devient.
Niveaux concernés
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Programmes
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CP
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Les symboles de la République (dont La Marseillaise, jugée cocardière, sanguinaire
et dépassée par beaucoup d’enseignants)
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CE
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La patrie : unité et identité nationales et
la devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité »
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CM
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Le citoyen et la République
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On est cependant passés en 1985 d’une
« instruction civique » à une « éducation civique ». A lors
que la première suggérait la transmission de connaissances dans le cadre d’une
école où la leçon magistrale serait la norme, la seconde évoque plutôt une
action éducative dont l’école assure une part, sans exclusivité toutefois.
Dans les années 1980 et 1990, l’éducation
civique a donc pour rôle la connaissance des institutions, de leur
fonctionnement et la vie citoyenne. Officiellement, dans les programmes de
1995-1996, cette « éducation à la citoyenneté » apparaît noir sur
blanc. Les programmes de 2002 confirment cette évolution des finalités de l’éducation
civique, qui n’a plus vocation à former de « bons » citoyens, mais
des citoyens responsables et respectueux des valeurs de la France qui assurent
le « vivre-ensemble ». Les programmes réservent au débat une place
importante, dès la fin du cycle 2 et surtout au cycle 3.
Un bref retour à l’ « instruction
civique » (2008-2013), avant le choix de l'EMC
En 2008, les nouveaux programmes,
inspirés par Jean-Michel Blanquer, actuel ministre de l’Education nationale, redéfinissent
l’éducation civique, qui devient IMC : « Instruction morale et
civique ». La place de l’enseignant, qui instaure le cadrage de règles et
fait respecter les valeurs de la République, est réaffirmée. Partant du
principe que les élèves de l’école primaire sont trop jeunes pour débattre et
philosopher, on revient à de l’ « instruction » morale et
civique, dont le but est de donner aux élèves les connaissances
institutionnelles et le bien-fondé du respect de valeurs et de principes sur
lesquels ils n’est pas question de transiger. En 2005, suite à une polémique
née du sifflement de l’hymne national au début de plusieurs matchs de football,
on demande aux enseignants d’apprendre La
Marseillaise à leurs élèves dès la rentrée 2006. En 2008, le débat sur l’ « identité
nationale » au début du mandat de Nicolas Sarkozy a échauffé les esprits.
Certains enseignants ont vu derrière le retour de l’ « instruction »
civique le retour à un patriotisme déguisé. Pourtant, l’ « identité
nationale » n’apparaît pas directement dans les programmes de 2008. L’école
est vue comme l’antichambre de la vie collective. L’exercice de son jugement
moral viendra dans un second temps. La circulaire de 2011 confirme cette évolution.
En 2013, la loi de la refondation
de l’Ecole, suivie par de nouveaux programmes en 2015, tranche en faveur d’un « enseignement
moral et civique ». C’est sous cette dernière appellation que nous travaillons
actuellement, nous libérant du débat instruction vs. éducation.
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