Hi-Gé

Programmes, liens, prolongements de formations, propositions de didactisations, compte-rendus, fiches, synthèses, débats permettant de faire le lien entre histoire et géographie universitaires et enseignées. Blog de mutualisation d'un historien-géographe, enseignant-formateur de professeurs des écoles, destiné aux étudiants, aux enseignants stagiaires et titulaires en formation.

Deux citations en exergue rappelant l'importance de nos disciplines en société : "Homère est nouveau ce matin, et rien n'est peut-être aussi vieux que le journal d'aujourd'hui" (Charles PEGUY) ; "Si tu veux de la vérité, apprends la géographie : c'est elle qui dicte les commencements" (Erik ORSENNA, Mali, ô Mali, Paris, Stock, 2014).

samedi 8 décembre 2018

Shoah, holocauste, « Solution finale », génocide juif : quel vocabulaire utiliser en cycle 3 ? Existe-t-il un terme adéquat pour nommer l’horreur ?


L’extermination des juifs d’Europe programmée par les nazis a conduit de 5 à 6 millions de juifs à la mort : deux tiers de la population juive en Europe sont victimes de cette politique lors de la Seconde Guerre mondiale, selon le bilan chiffré suivant :


Le pays le plus durement touché est la Pologne, avec 3 millions de juifs morts pendant la Seconde Guerre mondiale. En Europe occidentale, 210.000 juifs périrent. Pour la France seule, sur 330.000 juifs présents sur le territoire en 1939, 75.000 (dont 11.000 enfants) ont été déportés en 74 convois, et pour 90 % d’entre eux à destination d’Auschwitz-Birkenau. Seuls 2566 survivants reviennent à la Libération. Dans 85 % des cas, c’est la police française qui avait procédé aux arrestations et aux rafles de juifs, dont 55.000 sur 75.000 étaient des étrangers résidant en France (26.000 Polonais, 7000 Allemands, 4500 Russes, 3300 Roumains…). 90 % des juifs de nationalité française ont pu échapper au génocide (mais seulement 60 % des juifs étrangers).

« Holocauste » n’est pas un mot hébreu, mais provient du grec ancien : il signifie « sacrifice entièrement consumé », pratiqué dans l’Antiquité pour s’attirer les faveurs des dieux. Il est utilisé pour désigner le massacre des juifs dans les camps d’extermination, surtout dans le monde anglo-saxon après la diffusion du téléfilm américain Holocaust en 1978, racontant l’histoire de deux familles de Berlin, l’une nazie et l’autre juive. Mais dans la tradition juive, le mot renvoie à un sacrifice offert volontairement sur l’autel du Temple de Jérusalem pour être agréable à Dieu. Pour éviter la confusion et la connotation religieuse, on lui préfère le terme de Shoah en France.

Shoah, qui signifie « catastrophe », « cataclysme », « anéantissement » ou « désolation » en hébreu, est utilisé pour désigner la mort de 5 à 6 millions de juifs. Ce terme s’est imposé dans le monde francophone après la sortie du film documentaire du même nom, de Claude Lanzmann, en 1985. Elle renvoie à la déportation vers les camps de la mort, le gazage et la crémation. Tous les juifs ne sont cependant pas morts dans des camps, mais aussi par les violences infligées à des populations civiles par des Einsatzgruppen, des unités mobiles qui sillonnaient l’Europe de l’Est pour fusiller le plus souvent tous les habitants d’un village ou d’une ville. C’est ce que les historiens ont appelé la « Shoah par balles ». Pour qualifier l'action des Einsatzgruppen, on parle aujourd'hui d'"exécutions de masse".


L'avancée des Einsatzgruppen, responsables de la "Shoah par balles"


« La Solution finale », sous-entendu « à la question juive » est l’expression utilisée par les nazis : en allemand Endlösung der Judenfrage. C’est le projet du IIIe Reich pour l’extermination industrielle des juifs d’Europe dans les camps de la mort, programmée par les chefs nazis en janvier 1942 au moment de la conférence de Wannsee. Cette expression est donc liée à l’idéologie nazie. Longtemps désignés comme des "camps d'extermination" par les historiens (pour les distinguer des camps de concentration, où les opposants au régime sont détenus, avec un taux de mortalité plus faible), les camps comme Auschwitz-Birkenau ou Treblinka où juifs et Tziganes ont été exterminés portent aujourd'hui le nom de "centres de mise à mort" (certains manuels rajoutent "industrielle").

En 1945-1946, le tribunal de Nuremberg qualifie juridiquement les crimes des nazis en utilisant le terme de "génocide" (utilisé pour la première fois par Raphael Lemkin en 1944 pour parler de l’extermination des juifs d’Europe) afin de désigner les crimes commis dans l’intention d’éliminer toute une population (un groupe national, ethnique ou religieux). L’incrimination de « crime contre l’humanité » est créée en 1945 à cette occasion. A ce jour, trois génocides, systématiques et programmés, sont reconnus par l’ensemble des historiens et spécialistes du droit international : le génocide arménien en 1915, la Shoah lors de la Seconde Guerre mondiale et le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.

Ces trois termes sont difficiles à comprendre et à manier pour des enfants. Le titre donné par l’historien Raul Hilberg à son livre sur le sujet traduit en français en 1988 est peut-être plus adéquat : La destruction des juifs d’Europe. Pour les enfants de CM2, il est possible d’utiliser l’expression « extermination des personnes de religion juive pendant la Seconde Guerre mondiale ». Les programmes et les documents d’accompagnement EDUSCOL recommandent de traiter cette entrée via des témoignages d’enfants, des histoires familiales ou locales et régionales, afin d’éviter d’exposer les élèves à des images trop dures, tout en leur permettant de comprendre.

Les nazis ont aussi, il ne faut pas l’oublier, cherché à exterminer les Tziganes : entre 200 et 240.000 victimes, soit un tiers de la population tzigane de 1939, est victime de cette politique d’extermination pendant la Seconde Guerre mondiale.

Remarque importante : il ne faudrait pas mettre de majuscule à "juif" si l'on désigne toute personne de religion juive (un juif, comme un catholique ou un bouddhiste). La majuscule renvoie à l'appartenance à un groupe national qui n'est pas d'actualité avant 1948. L'utiliser pour 1939-1945 peut donc induire en erreur, car les juifs exterminés étaient le plus souvent des Allemands juifs, des Français juifs, des Polonais juifs... Seuls les noms de peuples doivent prendre des majuscules.

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